Deuxième référence de la jeune maison d’édition Le Boulon, après Dreamworld ou la vie fabuleuse de Daniel Treacy, le livre de Diego Gil sur Ian Curtis était attendu au tournant dès l’annonce de sa publication. Le confinement ayant décalé la sortie officielle du livre, ce dernier aura finalement été livré quelques semaines après le 40ème anniversaire de la mort du chanteur qui a sans doute justifié en partie sa mise en chantier. Il constitue une lecture mineure mais agréable pour les fans du groupe et ceux qui veulent s’immerger dans l’univers crépusculaire de Joy Division et de son chanteur légendaire.
Raconter les dernières 24 heures de la vie de Ian Curtis, entre son retour à la maison et son suicide, le 18 mai 1980, avait tout de la fausse bonne idée, tant la scène a été détaillée dans de nombreuses publications. Evoquée plus ou moins directement dans les biographies croisées des membres du groupe, mais surtout dans le Ian Curtis, Histoire d’une vie de Deborah Curtis, l’épouse de Ian, et à travers la mise en scène d’Anton Cobjin pour le film Control, la dernière journée de Ian Curtis est un événement dont le détail n’échappe pas aux amateurs de rock indé. Cette mort est considérée par beaucoup comme l’acte de naissance du post-punk. C’est un geste anti-romantique par excellence qui a été paré par le temps et l’histoire d’une aura extraordinaire. Entre Werner Herzog et l’écoute d’Iggy Pop en boucle, la crise d’épilepsie et la pseudo-dispute/dernière visite de Deborah, l’écriture d’une dernière lettre, la scénographie de ce dernier jour-nuit est un condensé de l’image du groupe, sombre et empli de références. C’est un manifeste à lui tout seul qui résume et a précipité la « condensation » de la légende Curtis comme si elle était à la fois la poule et l’oeuf.
Le principal mérite de Diego Gil est d’offrir une version à hauteur d’homme de cette dernière journée. Son évocation est frontale, franche, abordée à plat et sans aucun effet stylistique. Son récit est serré (150 pages), précis et offre par moments une belle technicité, sans jamais en rajouter dans le pathos ou la gravité. Alors que Curtis déroule ces dernières heures, l’auteur en profite pour ouvrir quelques fenêtres temporelles sur les grands jalons de la carrière du groupe : ses débuts, les premiers concerts, son univers esthétique, les premières crises du chanteur, les rapports avec Rob Gretton ou Martin Hannett, ou encore l’échange raté avec William Burroughs, son héros, lors d’un concert donné en Belgique. La rencontre avec Annick Honoré et le drame sentimental qui se noue entre Deborah, Curtis et la jeune Belge sont évidemment au coeur du récit. Le suicide de Ian Curtis est avant tout causé par cette passion coupable et le désamour progressif qu’il éprouve pour sa propre femme dont son art et ses aspirations artistiques l’éloignent progressivement. Sur le plan documentaire, Twenty-Four Hours n’apporte strictement rien, même si l’imagination de l’auteur permet, parfois, de combler certains trous. L’enchaînement des événements est connu et daté. Gil respect la feuille de route à la lettre. En le décrivant ainsi en temps réel, il donne à l’événement une durée, une temporalité, une lenteur qui transforment le cheminement malade de Curtis en chemin de croix. Ce mouvement là est très beau, tragique dans sa dynamique morbide et parfaitement rendu la plupart du temps. Dommage tout de même que le style de l’auteur vacille et faiblisse par séquence ou se relâche soudainement à coups d’adverbes superflus ou de tournures malheureuses. La visite de Deborah à son mari est en partie gâchée par une écriture maladroite et des erreurs évitables. Les grincheux noteront que She’s Lost Control est nommé deux fois She Lost Control et que l’ami Alan Hempsall dont on parlait il y a quelques jours pour ses Scissorgun a été oublié du casting vocal du concert de Derby le 7 avril 1980. Ce sont des détails bien entendu qui n’affectent pas de manière profonde une lecture immersive et stimulante. Diego Gil réussit son final en évoquant avec une certaine subtilité l’après. Les dix dernières pages referment le couvercle sur Joy Division et ouvrent sur la légende à venir, en même temps qu’elles annoncent la réinvention du groupe en New Order.
Twenty Four Hours est une lecture qui est tout sauf indispensable pour ceux qui se piquent d’être des experts internationaux du groupe : ils n’y apprendront rien de nouveau et s’en énerveront sûrement. Mais l’originalité de ce petit livre est de proposer une immersion agréable et de qualité dans une journée à bien des égards historique, d’ouvrir une vue inédite et finalement plutôt fraîche et intéressante sur la souffrance ordinaire de l’homme qui a laissé au monde, à travers ses textes et ses interprétations, parmi les plus belles expressions chantées de l’ère moderne. C’est déjà pas mal.
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j’en ai plus que soupé de Ian Curtis et joy division et new order .Pour moi IAN CURTIS sa restera surtout , un mancunien ordinaire dépassé par les événements : un mariage trop précoce, une maîtresse inaccessible ,la maladie devenu ingérable ( l’épilepsie) etc .. Ont la placé sur un piédestal , le costume est taillé beaucoup trop grand pour lui et quand aux Wonkers de NEW ORDER , en tête les ultras égocentriques et narcissique PETER HOOK et Bernard Sumner ,ils ne valent pas mieux que les requins de David Gilmour et consorts. Des que je vois une personne dans la rue porté un T SHIRT unknown pleasures j’ai une poussée d’eczéma lol
Pas loin d’être d’accord avec toi quant à la panthéonisation de Ian Curtis et à sa déclinaison en stickers, tee-shirts et autres ustensiles (j’ai acheté les « gants de four » Joy Division, dont je me sers pour enlever les lasagnes du four). Cela n’enlève rien à la qualité musicale du groupe et à la singularité de l’histoire de Ian. Le livre montre assez bien cette misère « ordinaire » qui transparaît de plusieurs récits : jeune homme, tiraillé entre sa femme et une histoire plus romantique, entre 2 univers, entre 2 vies. Cela n’en reste pas moins triste et… beau à raconter en noir et blanc ! Jusqu’à plus soif. La version de Peter Hook rend bien cette idée du type normal. Hook dit en substance la même chose que toi : Ian n’était pas un croque mort de légende. Il faisait des blagues et aimait la vie. Arrêtez donc avec cette vision macabre.